La solidarité à l’égard de la liberté d’expression ne
saurait être la connivence à l’égard des expressions libres.
En réponse à la question
polémique d’actualité : a-t-on le droit de critiquer l’Islam ? La
seule réponse admise est : oui ! Toutefois, depuis quand le verbe
critiquer issu du grec ancien signifiant examiner avec rigueur et finesse veut-il
dire agresser, simplifier, globaliser, falsifier ?
Au
sujet de l’article de Monsieur Robert Redeker publié dans le Figaro du 19
septembre 2006, nous entendons de nombreux hommes politiques et intellectuels outragés
à juste titre évidemment des menaces de mort formulées par des groupes
islamistes à l’encontre du professeur de philosophie. Dominique de Villepin,
Alain Finkielkraut, Luc Ferry et Jacques Julliard parmi d’autres ont affirmé
que la liberté d’expression était scandaleusement mise en cause sans vraiment
porter de regard critique nécessaire et détaillé sur les propos de Monsieur
Redeker.
Or,
il me paraît important de distinguer deux phénomènes :
D’une
part, les affirmations erronées et véhémentes d’un professeur de philosophie
qui semble avoir oublié le principe de Sophia c’est-à-dire de sagesse et
de connaissance véritable qu’implique normalement sa discipline,
D’autre
part, l’inadmissible, la choquante, la scandaleuse menace islamiste qui pèse
sur l’homme Redeker.
Nous
pourrions fort bien nous indigner simultanément, en des proportions
qualitativement et quantitativement distinctes, de ces deux phénomènes sans
justement que l’un puisse insidieusement profiter à l’autre. Sinon la confusion
des genres s’imposerait à vouloir indexer l’un à l’autre des deux sujets qui
nous occupent.
Au
nom de la liberté d’expression, je voudrais pouvoir, ici, dire librement à quel
point je suis choqué par les dires inutilement provocateurs de Monsieur Redeker
sur l’Islam. Ce n’est pas, en effet, parce qu’on le menace qu’il faudrait
s’interdire la liberté d’expression consistant à critiquer un contenu sophiacide
(c'est-à-dire destructeur de Sagesse et de Savoir) exposé par un
professeur ne respectant plus les chemins complexes et subtils qu’aurait dû lui
faire prendre sa discipline : la Philéin Sophia, traduisible aussi
par : aspiration à la Connaissance juste.
Emporté,
sans doute, par une probable fatigue et une légitime crainte, compréhensibles à
l’égard des violences islamistes dans le monde, dans l’histoire et surtout dans
l’actualité, Robert Redeker vient de confondre l’Islam avec ses dérives
effroyablement fanatiques tant dogmatiquement qu’au travers d’actes plus
souvent terroristes que de résistance. Comme il se doit, révolté par le danger
du totalitarisme islamiste, il se met à asséner, dans son article, des contrevérités
générales habilement mêlées à quelques vérités partielles, donnant alors aux
ignorants de la question islamique l’impression que ses propos sont fiables en
ce que l’Islam serait l’œuvre d’un psychopathe ou d’un tacticien sans moralité
soit sans le moindre scrupule, comme le serait en conséquence toute sa
filiation religieuse.
Etudions
brièvement quelques passages de cet article dans lequel Monsieur Robert
Redeker affirme que :
« Mahomet
était un chef de guerre impitoyable ». Il est vrai qu’il était chef de
guerre, mais quant à son « impitoyabilité », il faudrait nuancer le
propos en affirmant qu’à l’égard de ses adversaires armés, il se montrait sans
concession, alors que dans le même temps, vis-à-vis des civils non armés, il
faisait le plus souvent preuve d’honneur et de clémence.
Soit
qu’il n’était pas mauvais homme, soit que stratégiquement son principal intérêt
était de rendre l’Islam plus séduisante qu’effrayante afin de susciter la
conversion, de gré, du plus grand nombre.
Son
« impitoyabilité » est d’autant plus incertaine qu’il fut le premier à
rédiger à Yathrib un pacte-constitution régissant les relations entre les
différentes communautés religieuses (notamment les deux tribus arabes et
les trois tribus juives) qui habitaient la ville, garantissant de
facto à tous les citoyens une relative liberté de conscience !
« Mahomet
pillard » ? Rappelons que le pillage est considéré tel du vol violent
et que toute forme de vol est expressément interdite dans tous les
monothéismes, message possiblement divin délivré clairement par Moïse, Jésus et
Mahomet. Il est bien probable que parmi les troupes du prophète, certains
soldats enivrés de violence s’adonnaient aux pillages et aux viols autant que
leurs adversaires. Mais ces mahométans passaient outre l’interdit islamique du
vol et du viol, soit parce qu’ils n’avaient pas reçu les ordres mal communiqués
du sommet à la base par de nobles chefs, soit parce que malgré les ordres, les
pulsions et l’alcool (plus tard interdit entre autres pour ce motif)
l’emportaient sur le code de l’honneur comme ce fut malheureusement le cas dans
la plupart des armées du monde politique ou religieux à travers l’Histoire.
« Massacreur
de juifs » ? Il est vrai qu’après une période d’entente entre Mahomet
et les juifs de Médine, l’extension de l’Islam dans la péninsule arabique se
confronta à l’obstacle politique, commercial et religieux des tribus juives du
nord dont les Qurayza et des tribus juives du sud, au Yémen, celles
descendantes, par exemple, du roi juif Ibn Yûsuf. La guerre fut inévitable et
par conséquent de nombreux juifs furent tués y compris des civils. Cela dit, Mahomet
ne fit pas des juifs son obsession macabre, encore moins les femmes et les
enfants. Les Païens de toutes catégories (des animistes aux polythéistes)
étaient ses principaux ennemis et Mahomet n’était pas, selon la formule de
Redeker, le « massacreur de juifs ». D’ailleurs, sans mauvais esprit
à l’adresse de nos amis catholiques, il faut, tout de même, rappeler qu’à
travers l’Histoire, les plus grands massacreurs de juifs par anti-judaïsme
religieux appartenaient à un catholicisme accusant durant des siècles les juifs
de déicide. En quantité et en intensité de souffrances infligées aux juifs, ces
catholiques des siècles passés furent plus terriblement enthousiastes et
efficaces que l’Islam ne le fut dans la même période.
« Polygame » ?
Certes, Mahomet l’était ! Mais Monsieur Redeker le clame profondément
choqué puisqu’il dit : « massacreur de juifs et polygame. » dans
la même phrase. Il n’y a pas de lien de cause à effet ou d’inhérence entre être
« massacreur de juifs » et « polygame ». Je voudrais remémorer
à mon collègue de formation philosophique que la polygamie se pratiquait dans
toute la région, chez les juifs, chez les musulmans, chez les païens avec en
prime une coutume affichée de la polygynie chez les chrétiens d’Arabie.
Pourquoi alors insister insidieusement sur le scandale d’un Mahomet polygame (qui
après le décès de Khadîjah, épouse la veuve Saouda, puis Aïcha fille d'Abu Bakr
et prend, en 627, pour concubine Rayhana une juive, puis Myriam en 629 une
chrétienne. La même année, il se marie avec Saffiya une juive, en accord avec
les règles de mariage de l'islam).
« Le
Coran est un livre d’inouïe violence ». S’il est vrai que des sourates
portent en elles une véhémence certaine, ce qui peut nous faire dire que le
message coranique ou que la Shari’a elle-même ne sauraient être des exemples de
pacifisme, il en est de même dans certains passages de la Torah soit de
l’Ancien Testament sur lequel, en plus du Judaïsme se fonde le protestantisme.
Le Coran n’est pas le seul texte sacré a comporter de la violence de façon soit
descriptive soit incitative. Les Evangiles constituent, certes, un corpus bien
moins violent, ce qui n’a pas empêché l’Eglise Catholique par la main et la
voix de nombreux de ses Papes et monarques de pratiquer l’endoctrinement et les
crimes tant lors de sa période d’expansion qu’à l’époque de son apogée.
A
mon sens, le tort du professeur Redeker est d’avoir voulu stigmatiser un Islam soi-disant
consubstantiellement violent à la différence de l’opinion qu’il se fait des
autres monothéismes. Nous pourrions oser la déduction que ce n’est pas
seulement à la violence du texte fondateur que l’on mesure l’agressivité d’une
religion, mais surtout à son degré politique de prosélytisme. C’est ce critère
qui détermine l’aspect potentiellement criminogène d’une doctrine.
Cette
accusation et condamnation partiallement et entièrement focalisé contre l’Islam
relève d’une malhonnêteté intellectuelle et déontologique dont le philosophe, « l’ami
de la sagesse » ne saurait, en principe, faire preuve. Et s’il s’agit de
protéger la laïcité, encore faudrait-il qu’elle ait été préalablement
directement menacée.
Avant
d’avoir écrit et publié son article, Monsieur Redeker, laïc comme je le suis
moi-même, menait son existence quotidienne en France sans avoir vu sa liberté
propre d’être croyant ou non, d’être un citoyen honnête ou point, remise en
cause par une quelconque religion. Pourquoi alors prendre sa plume dans l’optique
d’agresser ce par quoi il ne l’avait pas encore été ? Ce n’est guère se
défendre d’un danger terrible et précis que d’agresser une globalité comprenant
donc une masse d’innocents dont le seul tort est d’être visible en leur
différence. Le visible religieux ne peut décemment être d’emblée assimilé à du
prosélytisme !
Je
le redis, nous avons le droit et le devoir de critiquer, également, toutes les
religions si nécessaire, mais pas de les agresser comme si cela devait être
naturel. Les laïcistes favorisent les extrémistes, leur donnant du « grain
à moudre » argumentatif et de nouvelles ouailles à recruter. Ce problème
moral est aussi une problématique sécuritaire nationalement et mondialement,
soyons donc responsables ! Il est urgent de réinventer une altérité non
naïve mais audacieusement moderne prenant en compte les réalités dérangeantes
de notre monde actuel.
Ceci
démontre que l’érudit n’est pas nécessairement cultivé et qu’une érudition
globale sans une connaissance approfondie et nuancée soutient l’opinion
vulgaire c'est-à-dire la Doxa selon Platon, au détriment d’une réflexion
intelligente nommée ici Philéin Sophia.
J’aurais
été pleinement d’accord avec Monsieur Redeker s’il avait été question de
fustiger l’islamisme et ses conséquences inévitablement meurtrières.
Criminalité dont font preuve les totalitaires qui le menacent et qu’il faut
combattre de façon peut-être impitoyable. Mais la liberté d’expression qui
m’est si chère ne devait pas lui donner le droit d’insulter Mahomet en personne
et, avec lui, l’ensemble culturellement, politiquement, ethniquement,
géographiquement et historiquement très diversifié du monde musulman et de ses
centaines de millions d’individus qui, ce mois-ci, célèbrent le Ramadan, sans
inimitié à l’égard des non musulmans de la planète. En prime, nous ne devrions
omettre que de nombreux musulmans traditionnels sont les premières victimes
morales et physiques des fascistes islamistes actifs qui torpillent ainsi les
fêtes et autres commémorations propres au calendrier musulman.
Une
minorité agissante, féroce, assoiffée de pouvoir et de sang réussit
malheureusement à rendre paranoïaque des gens de qualité morale et
intellectuelle a priori. Il me semble que Monsieur Redeker est l’une de
ces victimes.
Certains
politiciens et intellectuels comparent Robert Redeker à Salman Rushdie. Or, le
seul point de comparaison tristement et objectivement possible est la menace islamiste
à leur encontre. En dehors de ce seul point, je pense qu’il est trop élogieux
de comparer les propos grossiers de Monsieur Redeker à la véritable étude bien
plus fine, mieux référencée et documentée de l’intellectuel d’origine perso
musulmane Salman Rushdie.
Par
un souci de discernement conceptuel, il me faut ajouter que la liberté
d’expression ne saurait être l’expression libre ! Est-on un Homme libre
lorsque l’on s’exprime sous l’esclavage d’un épisode de paranoïa, d’une
tendance névrotique et des islamistes qui ont contribué à leur genèse dans
le psychisme d’un professionnel de la philosophie ?
L’expression
libre des amalgames, des opinions, de la peur, ne devrait guère être confondue
avec la Liberté auto maîtrisée, autonome, intellectuellement et psychiquement
saine, de la pensée claire et distincte selon la définition qu’en donna, par
exemple, Descartes dans Le Discours de la Méthode. Doivent alors
triompher de l’opinion, l’avis, la Raison, qui établissent contre le délire
« folie-sophique » la réflexion philosophique ! En effet,
Messieurs De Villepin, Finkielkraut, Ferry et Julliard, notamment, sont à juste
titre si choqués par les menaces islamistes pesant sur un citoyen, sur un être
humain, qu’ils déclarent défendre contre elles la liberté d’expression,
expression en réalité galvaudée et inconsciemment confondue séant avec
l’excessive expression libre trop affectée.
Faudra-t-il
demain autoriser chacun, intellectuel ou non de son statut socioprofessionnel,
à dire ce qu’il veut, quand, où et à qui il le veut ; d’exprimer des inepties
et des contrevérités historiques, politiques ou autres sur les individus et les
peuples ?
Pourquoi
se choquer si, sur la base de vérités partielles, l’on voudrait fabriquer
artificiellement et habilement des prétendues vérités totales qui ne seraient
en réalité que de fallacieuses opinions sur, par exemple, les juifs, les
arméniens, les chrétiens, les athées, etc. Pour nous en défendre, en tant qu’amoureux
des libertés, nous devrions nous montrer des plus exemplaires sur le plan
méthodologique et éthique lorsque nous exprimons nos avis.
J’entends
de nombreux intellectuels défendre la tradition notamment Voltairienne et, à
travers elle, le combat à mener contre les fanatismes religieux et même en
général le droit et le devoir de la liberté d’expression.
Mais
Voltaire lui-même n’était pas exempt de quelques points de vue rudimentaires ou
gravement et dangereusement erronés au cœur-même de sa belle intelligence. Avant
le brillant et nécessaire Voltaire, Montesquieu avait écrit les Lettres
Persanes dont nous pourrions nous inspirer. Puis après Voltaire, Kant dans Réponse
à la Question : qu’est-ce que l’Accès aux Lumières détailla
puissamment les fondements éthiques de la liberté d’expression qu’il ne
confondait pas avec n’importe quelle expression libre aboutissant à la
dangereuse anarchie des opinions rudimentaires y compris celles élégamment
exprimées.
Certes,
je rends moi-même hommage à Voltaire dans mes cours mais n’oublie pas ses
prédécesseurs, ses successeurs et même ses contradicteurs, pour en conclure que
la liberté d’expression ne doit jamais être limitée, encore moins entravée, de
façon exogène par des menaces ou autres moyens dissuasifs car intimidants.
Cependant, pour rester noble et fer de lance de la vie démocratique, la liberté
d’expression doit savoir se limiter de l’intérieur, non pas au sens de se
terminer mais de se pondérer afin que sa finalité demeure déontologiquement et
moralement le souci de vérités possibles et raisonnables.
Si
nous ne voulons pas voir la liberté d’expression devenir un enjeu instrumental
ou une arme modale de la sophistique, le meilleur moyen de la défendre est
d’oser la critiquer de façon endogène pour l’élever avant que des défenseurs de
l’expression libre notamment les prononciateurs de menaces et de fatwas
ne veuillent l’exterminer en s’appuyant malicieusement et perversement sur des
propos trop librement maladroits.
Je
suis donc indiscutablement solidaire de l’homme Robert Redeker, de
l’intellectuel potentiellement brillant qu’il a su et saura être à nouveau, de
mon concitoyen contre l’infamie qui s’est abattue sur lui. Toutefois, j’insiste
sur le fait de ne pouvoir me montrer solidaire des propos qu’il a tenus dans le
Figaro. En tant, moi aussi, que défenseur et protecteur quotidien de la liberté
d’expression, je ne peux confondre les deux phénomènes comme ont tendance à le
faire quelques hommes politiques et intellectuels qui voudraient culpabiliser
des personnes a priori libres de penser différemment d’eux au sujet de
Robert Redeker et de la notion complexe de liberté d’expression. La
« défaite de la pensée » advient quand le relativisme subjectiviste
des opinions l’emporte sur l’herméneutique et la recherche patiente des
savoirs.
Certaines
personnes pourraient me reprocher de critiquer cet article et son auteur alors
que ce dernier n’est, pour l’heure, pas en mesure de répondre puisque obligé de
se cacher afin d’éviter d’être assassiné. Or, j’ose penser justement que
suspendre le débat intellectuel qui consiste à mettre en cause le pseudo
pamphlet sur l’islam qu’il vient de projeter, serait faire triompher les fous
qui l’intimident. Certes, Robert Redeker ne pourra me répondre dans l’immédiat
mais la dialectique philosophique doit exister au-delà d’un temps que certains
voudraient voir définitivement suspendu. Si je devais attendre que les fous de
Dieu ou plutôt les fous du Diable veuillent lever leurs chantages et
fulminations à l’égard de mon collègue, les discussions philosophiques sur ce
point se tairaient malheureusement fort longtemps. Je veux bien paraître assez
étrange aux yeux de mes contradicteurs pour imaginer que Monsieur Redeker est
encore présent parmi nous et qu’il pourrait tantôt me répondre. Telle est
l’unique raison pour laquelle je m’autorise à le contredire vertement ;
voici une façon pour moi de l’honorer durement au-delà de la Fatwa qui
le pousse vers la disparition. Monsieur Redeker m’apparaît encore !
Les
menaces ne doivent donc guère empêcher ou se substituer à la tenue du débat
ouvert et ardu sur la déontologie de la liberté d’expression.
Justement,
la communauté intellectuelle ne devrait point impliquer le communautarisme
intellectuel face au communautarisme des intégristes.
Ory André Lipkowicz .
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